“ Le Périgord ”
Le Périgord évoque pour les gourmets et les gourmands des visions de foies gras, de confits, de cèpes dorés sur fond d’omelettes truffées. Un rêve, quoi ! En fait, les truffes atteignent 1 000 € le Kilo, les oies et les canards locaux voient leurs cousins de l’Est se naturaliser Périgourdins au moment de Noël pour se vendre plus cher ; quant aux cèpes, dés leur apparition dans le sous-bois humide, ils se ramassent furtivement au petit jour, souvent chez le voisin. Malgré toutes ces petites magouilles qui portent atteinte à une réputation qui durait depuis des lunes, le Périgord est toujours et encore un des bastions du bien manger. Et cette cuisine traditionnelle et saine, c’est surtout sur la table des vieux Périgourdins qu’elle se déguste tous les jours. Ici on aime les marchés traditionnels, on y apprend ce qu’il faut savoir de la vie locale et surtout ce qu’il y a de bon à se mettre sous la dent.
Suivez donc un vieux Périgourdin au marché, ou il va au gré des saisons acheter justement ce qui est de saison. Au printemps, les fèves tendres pour la soupe, l’aillet (ail) nouveau, les pouces de pissenlits ou de scorsonères pour des omelettes succulentes. Le salsifis, pénible à éplucher, mais c’est celui-là justement qui est bon pour la tourte au poulet. Une poule, assez vieille, mais fermière, s’il vous plaît, pas une de camp de concentration aux chairs molles et tristes, elle sera farcie et servie avec une mayonnaise. Il achètera les fromages blancs que les dames en noir proposent sur des petites tables, à côtés des échalotes grises, du lilas de Pâques et du persil plat.
En juillet, il choisira le melon en le soupesant longuement, les fraises fondantes et sucrées, et ne lui parlez pas des fraises d’automne et d’hiver, acides et rugueuses, ça l’agace. Il n’aime pas qu’on brouille les saisons. Son sourire reviendra avec les pêches de vigne, vilaines mais exquises à l’intérieur, les premiers haricots blancs qui mijoteront avec des tomates, de l’ail et du persil.
A l’automne, rencontre avec les premières châtaignes qui vont griller dans le cantou, ou bouillir longuement et qu’on déguste avec un verre de bourru. C’est aussi les premières noix, les pommes de Sainte Germaine qui vont se garder tout l’hiver, fraîches et croquantes, dans le grenier sur des clayettes. Dans les bois, sortent les cèpes, les girolles délicates, les trompettes de la mort, si délicieuses et mal nommées, les dents-de-rats qu’on trouve dans les mousses jusqu’en janvier. Ces champignons, il les aime en omelette, ou avec des pommes sautées à la sarladaise, accompagnées d’une salade à l’huile de noix.
De décembre à février, il ira sur ses truffières, un jour de soleil, pour voir si par bonheur la mouche serait, ce compère, sur les lieux de son festin. Il se souvient de son père qui cavait avec le chien, de son grand-père avec le cochon. Des truffes il y en avait tant qu’on voulait alors, et sur la table du dimanche elles entouraient tranquillement la rouelle de veau et chacun en profitait.
Pour Noël, il ne va pas acheter de foies gras, sa grand-mère, sa mère et sa femme l’ont constamment fait à la maison, à l’ancienne, enrobé de graisse dorée, alors vous comprenez. . .
Notre homme serait bien interloqué si on lui disait qu’il mange comme un monarque, car ce qu’il mange c’est une cuisine de pauvre, dirigée par des femmes économes habituées à cuisiner selon les saisons. Elles ont l’art de préparer des choses très simples avec un savoir-faire et des alliés sûrs comme la graisse d’oie, l’huile de noix, et le hachis qui vers midi parfume les ruelles.
Ni compliquée ni coûteuse, cette cuisine se moque des surgelés, ignore le fast-food, se rappelle qu’elle est un art et le pratique avec simplicité.
L’heureux Coly a eu son poète, ou plutôt » sa poétesse », laquelle ne lui épargne pas ses louanges, comme on va le voir :
Poésie de Mlle Laroche du Claux
Coly, je veux m’asseoir sur tes bords ravissants
Pour bien voir tes ondes bleuâtres,
Et sur tes rocs lustrés, tes rapides courants
Qui balancent les joncs par leurs flots bouillonnants
Le long de tes berges verdâtres.
Et tes lacs assoupis, à l’air mystérieux,
Ou se mirent les folles herbes !
Et ton joli vallon sous les noyers ombreux,
Où les épis d’or, si grands et si nombreux,
Bientôt s’entasseront en gerbes.
Et tes goulets étroits, où les arbres jetés
Sont des ponts faits par la nature !
Et l’aspect écumeux des remous agités
Dont les clapotements sans cesse répétés,
Me berceront par leur murmure !
Puis sur les peupliers où nichent les oiseaux
Les couvées abandonnées,
Poussant des cris plaintifs, de rameaux en rameaux
Et les brillants reflets dans tes changeantes eaux
Du flanc des truites saumonées.
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